Imaginons un pays où un nouveau virus circule. Imaginons que le nombre de lits en soins intensifs, les personnels soignants et le matériel médical y fassent les frais de coupes budgétaires depuis longtemps, que les autorités soient très mal préparées et, par dessus le marché, qu’elles soient peu soucieuses de l’intérêt général (1).
Imaginons maintenant que, pour compenser leur inaction, elles imposent à la population des règles qui interdisent de se réunir dans l’espace public ou privé, qui affectent négativement les corps, les liens sociaux et les santés mentales, particulièrement les femmes, les personnes âgées, isolées, en situation de handicap, sans papiers ou qui vivent de la rue.
Imaginons que le pouvoir exécutif prenne des décisions lourdes de conséquences sur les existences mais qu’il le fasse à coup d’arrêtés ministériels, sans vraiment se soucier du parlement.
Imaginons qu’il ne soit plus permis de critiquer ce pouvoir dans la rue ; que les rassemblements extérieurs soient limités à 100 personnes maximum, qu’ils ne puissent être que statiques et qu’ils doivent être préalablement autorisés ; que les manifestations mouvantes soient interdites, exposant les contrevenant.es à une amende de 250€. Imaginons que le refus ou l’impossibilité de la payer entraîne des poursuites pénales.
Imaginons qu’un couvre-feu soit mis en place.
Imaginons que pour faire respecter ces contraintes, les autorités comptent sur la police et son peloton anti-banditisme ; qu’environ 200 000 procès-verbaux soient dressés en moins d’un an.
Imaginons qu’en allant chercher à manger auprès d’une initiative solidaire on puisse se faire frapper et arrêter.
Imaginons que la police judiciaire débarque chez des gens pour les interroger en les accusant, pour seul délit, d’avoir participé à une manifestation.
Imaginons que les plus jeunes ne puissent plus jouer au foot dans un parc ou se réunir pour partager un moment à l’air libre, que ces « attroupements » soient considérés eux aussi comme des délits.
Imaginons que le règne de l’arbitraire soit approfondi et que lors d’une “fête de la musique” ou d’un “15 août” improvisé, ce soient des personnes racisées qui soient verbalisées en marge du rassemblement.
Imaginons que certains rassemblements soient interdits et d’autres autorisés, sans que ces décisions ne soient la conséquence de préoccupations sanitaires ; que cet arbitraire semble être lié au message porté par ces événements et à une volonté de la ville de soigner son image. Imaginons que certains rassemblements “non autorisés” soient poursuivis sur base d’images de caméras de la ville et d’autres non.
Imaginons que des manifestant.es se fassent coincer par centaines sur un pont au-dessus d’un fleuve et menacer par des autopompes ; que la police prenne des empreintes, fouille à nu, mente sur les procédures légales ou refuse l’accès aux toilettes, photographie et s’amuse de celles qui s’urinent dessus. Imaginons que la justice participe à cette surenchère répressive en envoyant des convocations menaçant de peine d’enfermement pour simple présence à cette manifestation.
Imaginons que des personnes soient interpellées pour “suspicion de participation à une manifestation” avant même de s’y rendre.
Imaginons qu’on ne puisse afficher à sa fenêtre un hommage à des personnes tuées par la police sous peine de voir des agents débarquer et exiger son retrait.
Imaginons que le droit à la contestation sociale soit de plus en plus limité.
Bienvenue en dystopie ? Non ! À Liège en 2021. Toutes ces situations ont malheureusement eu lieu dans la Cité Ardente. L’augmentation de la répression – particulièrement sur les mouvements sociaux et les personnes les plus marginalisées – n’est pas un phénomène nouveau, ni limité à Liège ou à la Belgique (2), mais il prend aujourd’hui une nouvelle ampleur. Les luttes pour une société égalitaire et solidaire sont durement impactées par les mesures sécuritaires. Le risque est de s’y habituer.
L’hypothèse des autorités est que nous serions trop inconscient.es pour comprendre et combattre ce virus. Elles nous infantilisent, nous culpabilisent et nous répriment depuis un an. Or, ce sont avant tout les associations de terrain, le travail social, les personnels de santé, les salarié.es sur leurs lieux de travail et le secteur socioculturel qui ont pris les décisions de bons sens, avec leurs moyens limités, et permis de trouver des solutions pour appliquer des mesures sanitaires cohérentes avec des réalités multiples.
On n’affronte pas un virus en affrontant les gens. Se réunir, délibérer, manifester, créer des espaces de rencontres et d’échanges, célébrer, briser l’isolement, encourager l’expression sont des besoins vitaux. Au lieu d’envisager les pratiques démocratiques les plus élémentaires comme une source de danger, il est temps de les comprendre pour ce qu’elles sont : une source de force et d’intelligence collectives nécessaires pour faire face au virus.
Nous appelons à :
– Désobéir pour faire vivre le droit fondamental à se rassembler et à manifester ses opinions.
– Signer et diffuser cette pétition ardente “Pour le droit à occuper l’espace public” : https://occuperespacepublic.be/.
– Refuser ensemble de payer les amendes pour “rassemblements non autorisés”.
– Participer à mettre en lumière les situations invivables et soutenir les associations de terrain qui y répondent.
– Créer et partager des caisses solidaires qui soutiennent les personnes précarisées par la situation ou la répression (exemple : https://www.firefund.net/embers).
Titre d’origine: OUFTI, LA CONTESTATION SOCIALE, NON ESSENTIELLE PEUT-ÊTRE ?
Notes:
(1) Abandon des maisons de repos ; capacité de tests des laboratoires sous-utilisée ; pas de plan de gestion de crise ; déni et sous-estimation du problème les premiers mois ; pas de mesures prises concernant les retours des pays foyers en général ni des voyages d’affaires en particulier ; pas d’identification des clusters ; pas de fermeture des entreprises non essentielles pendant le confinement ; très peu de sanctions pour celles qui ne mettent pas en place des mesures sanitaires voire forcent leurs salarié.es à travailler dans de mauvaises conditions ; pas d’adaptation suffisante et concertée des transports, classes, centres commerciaux, lieux de travail ; pas d’anticipation concernant les vacances d’été ; pas de mise sous contrôle public de la recherche, production et distribution de vaccins ; pas de lutte contre les causes des (prochaines) épidémies ; etc.
(2) Le fait que toutes ces mesures émanent de l’autorité fédérale ne peut pas être utilisé comme excuse par les autres niveaux de pouvoir. Les services de police collaborent à chaque opération, un pouvoir local doit être capable de désobéir à des règles illégitimes voire illégales, et surtout une partie des exemples cités plus haut est de l’initiative des autorités et polices locales. Enfin, rappelons que la province de Liège voulait initialement limiter la possibilité de se rassembler à 4 plutôt qu’à 100 !
Signataires :
Acteurs de l’Ombre
Actions Cycloyennes
Arsenic – Centre de création itinérant
Barricade
Brigades de Solidarité Populaire Liège
CADTM Belgique (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes)
Centre culturel Kali
Centre culturel Kurde
Centre liégeois du Beau-Mur
Le Cercle du Laveu
CEPAG Verviers (Centre d’Éducation Populaire André Genot)
La Cible
Collectif solidarité liège-rojava
CRACPE (Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers)
CVFE (Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion)
D’une Certaine Gaieté
Écologie Sociale Liège
Extinction Rebellion Liège
Front Antifasciste de Liège 2.0
Glue Gang – Collectif de collage intersectionnel
Le Lab’Oratoire
Liège pour le Climat
METAL (Mouvement des Étudiant.e.s Travailleur.euse.s des Arts en Lutte)
Migrations Libres
mpOC-Liège (Mouvement Politique des Objecteurs de Croissance)
Peuple et Culture Wallonie-Bruxelles
PhiloCité
Point d’Ancrage
Sauvage Sauvage – Collectif artistique
Still Standing for Culture
Sortir du Bois
Street-Medics Autonomes de Belgique
Students for Climate Liège
La Tête Haute – Collectif féministe libertaire
Travail social en lutte
VaVeA Semeurs de Possibles
Voix de Femmes
VINCIANE DESPRET, philosophe
MANON LEPOMME, humoriste
DAVID MURGIA, acteur
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